1. 14. La religion III (1. 14. 25/1. 14. 31.)

La religion est essentiellement rapport à l’absolu. Elle est contact avec un Autre, avec une puissance si forte qu’elle abolit toute distance à elle dès lors qu’elle se dévoile – l’homme religieux entre dans un rapport personnel immédiat avec son Dieu. Est religieuse ainsi toute connaissance en laquelle l’objet finit par occuper la place du sujet qui le découvre. Toute connaissance qui est reconnaissance et révérence face à la puissance d’un objet qui se donne comme Vérité. La religion, dès lors, ne peut être que célébration et jamais explication. Elle manque essentiellement de distance par rapport à son objet et à sa vérité – qu’elle reçoit et ne construit pas consciemment. La vérité de la religion est donc ainsi toujours au-delà d’elle. Cela ne signifie pas que cette vérité soit irréelle ou illusoire mais qu’elle est au-delà du discours religieux lui-même, lequel n’est jamais que la traduction de l’attitude religieuse et non son fondement. La vérité de la religion elle-même peut ainsi être référée à un élan vital avec Bergson, au sens moral avec Rousseau ou encore au mouvement même de l’esprit avec Hegel.

Pourquoi avons-nous retenu ces trois auteurs particulièrement ? Parce qu’ils ont en commun d’avoir conçu une vérité du phénomène religieux qui est en lui mais que la religion ne saurait exprimer en tant que telle. Or, si l’on se reporte aux précédentes sections, on constate que justifier ou invalider les discours religieux consiste le plus souvent à les rapporter à quelques dispositions ou besoins humains, ou bien à quelques situations historiques précises. Rien de tel avec nos trois auteurs mais plutôt la reprise des discours religieux sous une perspective plus vaste qui exhibe leur nécessité.

Il est encore une autre raison d’avoir choisi ces trois auteurs. Dans les deux précédentes sections, ayant voulu situer la religion comme l’attitude selon laquelle l’homme se rapporte à sa propre vérité, nous voulions surtout souligner que la religion représente un phénomène inépuisable mais non pas indéfinissable, mystérieux ou impossible à cerner, dont l’interrogation doit être reportée sans fin. Dès lors, avec nos trois auteurs, nous voudrions à présent montrer comment le discours religieux (chrétien en l’occurrence) peut être ouvert : vers une véritable cosmologie avec A) Bergson. Vers la moralité avec B) Rousseau et vers la réflexion philosophique avec C) Hegel.

Ces ouvertures doivent toutefois être prises pour telles et ne sauraient être présentées comme définitives. Certes, à leur époque et au-delà, les idées de Rousseau eurent une énorme influence. Elles paraissent quand même aujourd’hui d’un autre âge. Celles de Bergson eurent du succès en leur temps et furent notamment relayées par Pierre Teilhard de Chardin (voir 3. 3. 22.). Elles sont plutôt oubliées désormais et furent la plupart du temps regardées avec condescendance par la philosophie universitaire. Quant à Hegel, sa philosophie religieuse exerça une influence aussi incontestable que problématique, quand on sait quels malentendus la philosophie hégélienne a constamment suscités. Au total, à la fin de notre parcours, nous pourrons produire un mythe récent de Hans Jonas, qui pose une question religieuse essentielle en des termes qui paraissent éternels.

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Sommaire :

1. 14. 5. – Au delà du religieux

A) Henri Bergson Les deux sources de la morale et de la religion

Religion et morale entre instinct et intelligence. Ordre et élan. La religion et l’histoire de la vie. Whitehead. Les mystiques.

B) Rousseau

1/ La religion naturelle

A la Renaissance et à l’âge classique. Religion première et religion naturelle. Universalité du christianisme ? Le XVIII° siècle. La religion naturelle contre l’Eglise. Le refus du mystère en matière de religion. Dieu saisi dans sa création. Le scepticisme de David Hume. Dialogues sur la religion naturelle. La religion fondée sur la vertu. Théisme et déisme. Marcion.

 2/ La profession de foi du vicaire savoyard

La preuve de la religion par son utilité. Un vide inexplicable. Le sentiment au fondement de la religion. La foi ingénue. Bouleversements radicaux des idées religieuses. Contre le dogme du péché originel.

C) Hegel Leçons sur la philosophie de la religion

Duplicité de la religiosité moderne. La croyance nomade. Religion et intelligence. Achèvement de la religion ? Toute religion est achevée ! La foi ne concerne pas que les sots. Hegel et Feuerbach. La certitude immédiate de Dieu. Dieu comme mystère. La religion et les religions. Magie, Taoisme, Bouddhisme, Manichéisme. L’Egypte, la Grèce et les Hébreux. Osiris. Avec le christianisme, Dieu est mort. La religion absolue. Critiques de la philosophie hégélienne de la religion. Le caractère insupportable de la vérité. Hans Jonas. Dieu après Auschwitz.

Garuda en adoration, XIII° siècle, British Museum

 Garuda en adoration, XIII° siècle (British Museum).