II. 2. La biologie moléculaire (3. 1. 22./3. 1. 28.)

Les avancées – au moins techniques – de la biologie moléculaire sont particulièrement rapides. Et ses impacts sur la société – au moins en termes de débats soulevés – sont encore plus vifs. Ils devancent souvent les réelles capacités techniques. Il paraît donc difficile de traiter d’une telle discipline sans formuler un certain nombre de remarques préliminaires.

Il y a tout d’abord le risque que tout ce que nous allons exposer soit très vite dépassé. Mais ce risque, mieux vaut le courir que ne pas oser entrer dans la technique. Notre objet, de toute façon, n’est pas de rédiger un manuel. Notre ambition est plutôt d’inscrire ces idées sous une perspective philosophique large, loin de tenter de privilégier les théories les plus récentes, comme si elles étaient forcément les plus vraies.

Une autre remarque doit être faite d’emblée, qui concerne le jour singulier que jette sur la biologie moléculaire depuis quelques années l’interférence entre recherche fondamentale et affairisme. Certes, par les perspectives notamment médicales qu’elle ouvre, la biologie moléculaire ne peut manquer d’intéresser les investisseurs – sachant que dans de nombreux pays les pouvoirs publics ont délibérément incité les chercheurs à trouver des financements privés. Cela aura néanmoins créé un climat et aura suscité des pratiques – dont la moindre n’est pas l’esbroufe ! – à un niveau encore jamais rencontré en sciences. Ainsi, dès lors que la grande aventure du déchiffrage du génome humain, loin de nous fournir la clé de notre nature, a plutôt révélé que notre ADN est composé très majoritairement de séquences inactives ou dont on ignore la fonction, si elles en ont une, ainsi que de gènes qui à 98% sont les mêmes que ceux du chimpanzé, la course à la brevetabilité des séquences du même ADN a pu paraître une réaction de défense de la part de certains biologistes, visant essentiellement à maintenir l’intérêt des bailleurs de fonds. Il en va de même de nombre de perspectives thérapeutiques, régulièrement annoncées quoique d’une accessibilité très incertaine.

Dans un tel climat, recherches et résultats ont ainsi pris une tournure assez problématique. Des déterminismes génétiques sont mis au jour, sans qu’aucune relation causale ne soit démontrée. Ont été présentés comme des avancées techniques majeures des résultats qui peuvent être suspectés. Dans certains cas, la rétention d’informations enfin est patente. En août 1999, telle société de biotechnologie cotée en bourse pouvait ainsi annoncer la réalisation d’un clonage ciblé, sans indiquer la nature du gène introduit et en ne publiant ses résultats dans une revue scientifique que près d’un an après.

Mais les seuls enjeux économiques n’expliquent peut-être pas tout. Selon un auteur, très vite, la génétique s’est développée avec un fort esprit de chapelle, sur la base d’une méthode extrêmement réductrice, favorisant les recherches parcellisées de milliers de chercheurs, peu enclins à remettre en cause les principes avec lesquels ils ont appris à travailler et se détournant de toute question ne pouvant déboucher sur des applications rapides. Cela fait inévitablement songer aux paradigmes de Thomas Kuhn (voir 2. 7. 5.) mais sous une perspective qui n’avait guère été envisagée. Car dominent alors, outre les dérives mercantiles – à l’heure où des sociétés spécialisées rewritent les demandes de fonds des chercheurs et présentent leurs découvertes sous la forme de véritables spots publicitaires – des phénomènes d’autocensure et de polissage des résultats. Un refus de remettre en question le cadre de réflexion assimilable finalement et de manière large à de la fraude.

Pourquoi souligner d’emblée de tels éléments ? Pour comprendre pourquoi la biologie moderne, bien que la presse ne cesse de rapporter ses prouesses, peut paraître aujourd’hui à certains comme engagée dans une véritable impasse théorique. Pour souligner que, malgré les prouesses technologiques, le vivant demeure sans modèle pensable à ce stade. Pour s’étonner, enfin, de l’empressement mis à favoriser l’avènement des nouvelles techniques d’ingénierie du vivant, derrière la véhémence de quelques condamnations éthiques. On a créé des Comités d’éthique. Mais, étrangement, tout se passe comme si ceux-ci se sentaient interdits d’émettre une pensée qui soit de l’ordre du oui ou du non – une pensée efficace, qui pourrait paraître autoritaire. De fait, dans le domaine éthique, la rhétorique du compromis règne, jugent certains. De fait, qui aurait dit qu’il ne faudrait que quelques années pour que l’idée du clonage humain soit acceptée, au prix d’une simple distinction entre clonage thérapeutique et reproductif ?

Ci-après, nous examinerons successivement : A) De la cellule aux gènes – une brève histoire de la génétique et de la théorie cellulaire. B) Le modèle du vivant. C) L’ingénierie du vivant – en nous attardant sur la discrimination génétique, les OGM et la brevetabilité du vivant. D) Le clonage.

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A) De la cellule aux gènes.

Les lois de Mendel. Le caractère mosaïque du vivant. La découverte des gènes. La théorie cellulaire. La lente reconnaissance de la cellule comme constituant de base des vivants. Découverte de la division cellulaire et des chromosomes. Un corps a plusieurs vies. La biologie moléculaire. ADN et ARN. Le génome. La mitose. Types de remaniements chromosomiques. Mutations. Méiose et fécondation. L’individualité du vivant marque sa plus importante limite et sa mortalité. Le déchiffrage du génome humain. L’épigénétique. La synthèse protéique. La transcriptase inverse. La régulation génétique.

B) Le modèle du vivant

Le vivant se bâtit selon un modèle difficile à penser. La mystique de l’ADN. Incertitude de la notion de gène. La vitalité comme phénomène d’auto-organisation. La biologie moléculaire n’a pas chassé la vie. Elle a réduit le vivant à la vie.

C) L’ingénierie du vivant

Premières tentatives. Les enzymes de restriction. Le génie génétique. Quand le même individu existe encore potentiellement en plusieurs exemplaires. La discrimination génétique. Les OGM. Perspectives des manipulations génétiques. La brevetabilité du vivant. Le vivant est-il par essence intouchable ? La logique du vivant veut-elle la différenciation ? Demain l’eugénisme ?

D) Le clonage

Dolly. Le clonage n’est pas contre-nature. Perspectives cauchemardesques. Le clonage thérapeutique. Redécouvrir la vie ?

Chromosome 17, by Geraldine Ondrizek, 2011

Geraldine Ondrizek Chromosome 17, 2011.