Juger les hommes (4. 3. 17./4. 3. 31)

Aujourd’hui, en France, la justice est souvent prise à partie. Et la politique s’en mêle : majoritairement gauchistes, les juges relâcheraient trop facilement les délinquants et seraient ainsi responsables de l’insécurité croissante de la société.

Oublions la qualification de « gauchistes » cependant et nous avons là sans doute le reproche qui aura le plus constamment été formulé à l’encontre de la justice et des juges ! De ce point de vue, notre époque ne présente guère d’originalité. Et ce genre de reproches lancés à la justice n’est pas sans parti pris sans doute, de sorte qu’il parait difficile de les prendre aux mots sans circonspection.

Pour autant, croire qu’il ne s’agit là que des symptômes d’une sorte de ressentiment alimenté par les angoisses de sociétés en crise ou subissant de forts bouleversements sociétaux serait tout aussi excessif, car la justice est l’ordre social lui-même. Que devient celui-ci quand les décisions de justices choquent ou, paraissant obéir à des partis-pris idéologiques, révoltent ? Qu’on le veuille ou non, si la démocratie a un sens, il est dans la cohérence des valeurs juridiques avec le jugement spontané, commun. Car sinon quoi ? Peut-on considérer comme démocratique une société où l’issue des procès parait incompréhensible ou choquante à beaucoup ? Où l’appareil judicaire représente un système imprévisible où nul n’est plus assuré d’y faire reconnaitre son droit ; tandis que la société se judiciarise sous tous ses aspects mais où la plupart ne peuvent non seulement connaitre mais même comprendre la loi ? Où le recours à la justice, difficile et onéreux, peut être ressenti aussi bien comme dangereux que représentant un pari tentant pour gagner de l’argent ? Où, devenue trop incertaine et lourde à rendre, la justice renonce à juger au fond et, à travers un arrangement comme le plaider coupable dans les procès pénaux aux USA, permet à l’accusé de s’entendre avec le procureur pour reconnaitre une infraction moindre que celle pour laquelle il est poursuivi, en échange d’une peine inférieure ou l’abandon d’autres chefs d’accusation ?[1]

Nos sociétés n’ignorent certainement pas de tels travers mais quelles sociétés les évitent ? Le terme « travers » est en fait peu approprié car ces écueils ont leur logique, que nous tenterons de saisir à travers l’examen A) des délits et des peines et B) de la responsabilité juridique, pour nous demander enfin qu’est-ce que C) punir ?

[1] Jules Vernes anticipait déjà cette évolution. A Paris, en 1960, imaginait-il, on ne plaide plus, on transige. On préfère une mauvaise transaction à un bon procès. C’est plus rapide et plus commercial (Paris au XX° siècle, 1863, chap. XIII).

Consulter/Télécharger le texte (102 pages) : Juger les hommes. Les délits et les peines

Sommaire :

A)    Les délits et les peines

Beccaria. Débats sur le rôle du juge. La finalité des peines : expiation, punition, correction et protection de la société. La proportionnalité des délits et des peines. Bentham. La prison. Foucault. Le pouvoir disciplinaire. La justice pénale moderne inspirée par un idéal de pardon ?

B)    La responsabilité juridique

La fin de la faute. Victimes Le droit pénal classique ignore pratiquement le point de vue des victimes. Une évolution majeure. C’est la faute de la société ! Stigmatisation et délinquance. L’insuffisante prise en compte de la personnalité des criminels fut d’abord exprimée à travers la critique des nouveaux centres d’emprisonnement. Lombroso. Le criminel-né. Le retour actuel de la répression ? Deux principes déterminants du droit pénal. Le système inquisitoire et l’arbitraire des peines. L’abolition de la peine de mort.

C)    Punir ?

Justice et pardon. Hegel : le droit du criminel à la punition. La peine comme acte de reconnaissance. L’aporie pénale. La peine n’est pas une compensation. La peine n’est pas assimilable à une vengeance. L’oubli de justice. La nécessaire prévisibilité du droit pénal. La psychologisation des délits et des peines. L’obligation de pardon. Le pardon. Normalité du crime et du criminel. Crise de la justice ?

 maitre d'alkmaar Les sept oeuvres de miséricordes, 1504, Rijkmuseum

Maitre d’Alkmaar Les sept œuvres de miséricorde, 1504 (détail).