I-3 Le vitalisme (3.1.12./3.1.15.)

Par vitalisme, on entend le point de vue selon lequel la vie est un phénomène singulier, irréductible aux lois physiques générales. Nous avons pu qualifier ainsi de vitaliste la biologie contemporaine, qui ne reconnaît généralement, certes, aucun principe vital mais considère la vie comme un phénomène très particulier au sein du monde matériel, dont l’événement, nous l’avons vu, peut à ce titre paraître avoir été très improbable. Nous mesurons bien, cependant, qu’une telle qualification ne saurait être reçue sans mal.

C’est d’abord que l’on a pu considérer que la vie n’est plus un sujet pour la biologie. Toutefois, si tout le problème de la vie renvoie désormais effectivement à celui des origines des êtres vivants, on ne peut pourtant considérer que ce problème a par là même été réglé.

C’est ensuite qu’on oppose le vitalisme au mécanisme. Pourtant, à considérer ce qui, dans l’histoire des idées, s’est explicitement pensé comme vitalisme, cette opposition ne tient guère si par mécanisme, on entend un matérialisme. Au XVIII° siècle, les matérialistes étaient volontiers vitalistes.

N’étant proprement que le fait de distinguer nettement entre phénomènes inertes et phénomènes vivants, le vitalisme revient à marquer la singularité du vivant et ne se définit donc pas simplement d’emblée par le refus de reconnaître que la vie ne tient qu’au seul jeu de causes physiques. En fait, il faut distinguer un vitalisme « séparé », ou animiste, qui conçoit qu’un « quelque chose » de non physique, comme l’âme, peut seul rendre compte de la vie, d’un vitalisme « intégré », qui ne conçoit pas ce « quelque chose » à part de la matérialité du vivant.

Dans l’histoire des sciences du vivant, le vitalisme est relativement tardif. Il correspondit à une approche radicalement nouvelle, qui est encore, qu’on le veuille ou non, assez largement la nôtre. Nous l’examinerons à travers trois thèmes :

A)    Irritabilité et sensibilité

B)    Naissance de la biochimie

C)    La découverte de la vie.

Ces thèmes appellent différentes remarques.

Le premier thème“Irritabilité et sensibilité” nous obligera encore une fois à présenter différentes théories poussiéreuses, qui peuvent être lues rapidement sans doute mais ne sauraient être ignorées compte tenu de leur importance historique. Nous les retrouverons effectivement ailleurs. Ces théories ne peuvent être comprises qu’en regard de l’impact qu’eut, à l’époque, la physique newtonienne. D’elle, on retint essentiellement en effet qu’un principe d’explication n’a guère besoin d’être précisé quant à sa nature – c’est ainsi que Newton ne faisait pas d’hypothèses quant à la nature de l’attraction – dès lors qu’on peut en rendre compte par le calcul et l’observation. Et ceci, qui se développera en chimie avec la notion d’affinités, permettra, en physiologie aussi bien, de faire d’une qualification une explication. Le vivant paraît sensible et irritable, de manière évidente, essentielle ? L’irritabilité et la sensibilité sont donc les principes du vivant. De nos jours, le vivant nous frappe par le caractère complexe de son organisation ? On présente la biologie comme une science de la complexité. En quoi l’on se veut positif, comme alors, en se référant simplement à des analogies empruntées au monde des phénomènes physiques ou à quelques machines singeant les mêmes réactions.

En regard, le développement de la biochimie, ce sera notre deuxième thème, releva d’une approche bien différente. Elle parvint à réduire l’irréductibilité vitale et ceci, contre l’intention même de nombre de ses promoteurs – Pasteur le premier. La biochimie n’a pas réduit la singularité du vivant mais a comme mise à nu la substance de ce dernier, n’y relevant que des processus chimiques inscrits dans une organisation d’ensemble. La vie renvoie ainsi depuis lors à un phénomène singulier d’organisation. Un siècle auparavant, Stahl avait déjà développé cette approche – à rebours de ce qu’on pense généralement de lui.

La découverte de la vie, enfin, notre troisième thème, ne doit pas être confondue avec une quelconque “invention de la vie” à une époque déterminée – une formulation qui serait certes davantage dans l’air du temps mais qui, toute imprégnée d’un relativisme culturel admettant sans trop de critique que les concepts apparaissent au gré des époques et ne se comprennent que par rapport à elles, ne pourrait manquer d’être trompeuse.

Car la vie n’a pas été découverte, soudain, au tournant du XIX° siècle, comme un nouveau sujet d’étude auquel une science de plus en plus positive, la biologie, allait se consacrer. La lecture que nous proposons est tout autre : dès lors que, ne pouvant plus passer pour une simple coction réchauffant une âme, la vitalité renvoyait à l’étrangeté de l’organisation vivante, la vie est devenue problématique au cours du XVIII° siècle, léguant à notre époque un vitalisme de fait, dont nous sommes toujours passablement embarrassés.

Consulter/Télécharger le texte (22 pages) : Le vitalisme

A) Irritabilité et sensibilité

L’école de Montpellier : un principe vital distinct du corps et de l’âme. La spontanéité du vivant. Albrecht von Haller. L’impact du modèle de l’attraction newtonienne. L’attribut premier du vivant. Un exemple de positivisme stérile. Lamarck. La découverte de l’osmose. La vie n’existe pas !

B) Naissance de la biochimie

Lavoisier et la naissance d’une chimie du vivant. Le vivant n’a pas d’originalité chimique. Les premières synthèses de substances organiques. Les enzymes. Résistances au nom du vitalisme. Pasteur. L’explication de la fermentation. La zymase : une activité vitale peut être produite par de simples agents chimiques. Enzymes et protéines.

C) La découverte de la vie

L’obstacle vitaliste. Défense de Stahl. L’âme, principe de permanence. La découverte du corps comme organisme et de la vie comme organisation. Pour Michel Foucault, un tournant eut lieu au XIX° siècle dans la conception du vivant.

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Pierre-Paul Bertin Vitalisme I, 1994.