I. 1. Le transformisme (3. 2. 1. / 3. 2. 8.)

Impossible de comprendre la théorie de l’évolution sans connaître les théories transformistes qui l’ont précédée. Il faudra donc nous attacher à examiner nombre d’œuvres aujourd’hui largement oubliées.

Autant en prévenir tout de suite, ce détour historique sera assez fastidieux, surtout dans la ronde hésitante des idées qui devront être retracées. Souhaitons néanmoins que cette promenade ressemble à une visite au Museum d’histoire naturelle de Paris, dont les vieilles salles encombrées de squelettes poussiéreux ne sont pas sans charme.

Le charme de la découverte tout d’abord : reconnaître que le transformisme, contrairement à ce qu’on croit généralement, est une très vieille idée, liée à bien des thèmes inépuisables, comme la prodigalité de la nature, la continuité de ses formes et créations, le jeu du hasard et de la nécessité. En regard, les idées fixistes furent relativement nouvelles, qui passent pourtant pour traditionnelles, soumises aux dogmes religieux. En fait, le fixisme d’un Linné était résolument moderne en son temps : les productions de la nature, affirme-t-il, sont rares, discontinues. L’un des premiers, Linné rompt avec l’idée d’une grande chaîne des êtres. Par comparaison avec les boulimiques Sommes produites jusque-là, l’histoire naturelle au XVIII° siècle est un exercice de restriction et de clarification. Or, que découvre-t-on ? Avec Buffon, que le règne de la nature n’est pas parfaitement ajusté et ses productions non plus. Et, plutôt que prodigue, que la nature paraît surtout économe. Sur la base de quelques plans d’organisation, elle multiplie les variétés mais non les genres. C’est là ce que révèle l’anatomie comparée. Qui verra Goethe, à Venise, méditer sur une mâchoire de mouton. Qui verra le fixiste Cuvier, parce qu’il prend acte de la discontinuité des formes vivantes, être bien plus moderne que le transformiste Geoffroy Saint-Hilaire, malgré ce qu’on en dit.

Seul un regard rétrospectif, néanmoins, peut juger selon ces termes. A l’époque, il était moderne d’expliquer le monde sans l’intervention de Dieu. A quoi le fixisme ne conduisait guère mais les vieilles idées transformistes. Qu’on ne prononçait alors pas sans l’impression de braver un interdit. Ce qui n’était pas peu dans le charme qu’elles pouvaient exercer. Ces idées cependant, qui remplaçaient Dieu par une toute puissante Nature, ne conduisirent guère à renouveler la vision des formes vivantes. Ce sont elles qui, en large partie, détournèrent un Maupertuis ou un Buffon d’en venir à l’idée d’évolution.

Car au détour de tous ces débats, une idée nouvelle va apparaître en effet : l’évolution. L’idée d’une histoire des vivants. Avec ce que cela suppose de choix, peut-être malheureux, de restrictions dans le destin des espèces. Une nouvelle vision saisissant les formes vivantes dans leur devenir, comme porteuses de traces et de signes avant-coureurs. Énoncée d’abord par un parfait inconnu, Antoine-Nicolas Duchesne, l’évolution sera la grande idée de Lamarck, dont le programme – montrer en quoi les vivants sont sujets de leur propre évolution – est sans doute beaucoup trop ambitieux pour les moyens scientifiques et conceptuels de son temps. Lamarck, ainsi, ne traite que d’adaptation. Mais il n’en a pas le mot et pas non plus vraiment l’idée. A la place, il dit : la fonction fait l’organe. Mais ainsi énoncée, l’idée conduit à des raisonnements simplistes. On ne retiendra qu’elle pourtant, qui n’est qu’une caricature de sa pensée.

Lamarck a l’évolution. Il a l’idée d’un progrès des formes vivantes. Mais il a perdu la rareté. Il ne parvient pas à penser une disparition des espèces. Dans les fossiles, il se retrouve à chercher les ressemblances avec les espèces actuelles. Le fixiste Cuvier, lui, est sensible aux différences. L’un et l’autre raisonnent dans un cadre nouveau. Car ce n’est qu’au tournant du XIX° siècle que le temps long est acquis en matière géologique. Ce qu’il nous faudra également retracer.

Au total, notre parcours exposera : A) les conceptions transformistes avant le XVIII° siècle ; B) l’histoire naturelle ; C) les théories transformistes modernes et l’anatomie comparée ; D) la doctrine de Lamarck, ainsi que les nombreux débats que la question des fossiles et de l’âge de la Terre auront suscités. Le lecteur y apprendra quel jour et à quelle heure a eu lieu la Création !

Soulignons enfin que nous qualifierons :

- de transformiste, toute théorie qui envisage une transformation des formes vivantes en elles-mêmes et les unes par rapport aux autres ;

- d’évolutionniste, toute théorie qui envisage une généalogie des formes vivantes.

Dans l’idée d’évolution, celle de succession est essentielle. Avec le transformisme, les notions de variétés et de variations sont mises en avant.

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A) Les conceptions transformistes jusqu’à la fin du XVIII° siècle

Le transformisme est une très vieille idée. Il recoupe celle d’une continuité des formes de la matière et pas du tout celle d’une évolution. Maupertuis. Explications de la noirceur de la peau. La grande échelle des êtres.

B) L’histoire naturelle

Les Sommes encyclopédiques. A l’âge classique, un souci nouveau de classification ordonnée. Linné. L’histoire naturelle de Buffon. L’espèce définie par la filiation. La nature sans la Providence. Adaptation mais non pas évolution chez Buffon.

C) Les idées transformistes modernes.

Première formulation d’un ordre généalogique et progressif des formes vivantes : Antoine-Nicolas Duchesne. L’anatomie comparée. Un unique prototype de tous les animaux. Cuvier, fondateur de la paléontologie. Déduire la forme d’un animal de l’examen de l’une quelconque de ses parties. Cuvier fonde l’organisation sur la fonction, non tant pour verser dans le finalisme que pour considérer le vivant sous le registre de la rareté. Le débat Cuvier-Geoffroy Saint-Hilaire. Goethe et la Naturphilosophie à la recherche d’un archétype primitif. Analogie et homologie. Où, après Goethe, on pensait métamorphose, Cuvier pensait adaptation. Classifications évolutionnistes. La cladistique. Difficiles renoncements liés à l’idée d’évolution.

D) Lamarck.

Une théorie mal comprise. Une notion pivot : l’adaptation. Principes du lamarckisme. Apparition d’une dimension temporelle dans la classification du vivant. La nature en progrès. Les fossiles et l’âge de la Terre. Ce n’est que très tardivement que les fossiles furent reconnus comme tels. La lente prise de conscience des âges géologiques. Le déluge. Sa date précise et celle de la Création. La lente reconnaissance des fossiles. Actualisme contre catastrophisme. Première occurrence d’une importante difficulté : la discontinuité des couches fossiles. Lamarck contre Cuvier. Un débat qui n’a toujours pas été tranché.

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