I. 2. Le darwinisme (3. 2. 9. / 3. 2. 14.)

Dans l’histoire des sciences, il n’est guère de théorie aussi singulière que celle issue de l’ouvrage de Charles Darwin L’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle ou la lutte pour l’existence dans la nature (1859) et qualifiée de « théorie de l’évolution ».

Peu de théories invitent comme le darwinisme à se déprendre d’une vision sommaire de l’histoire des sciences – la plus courante, malheureusement – selon laquelle a raison le dernier qui a parlé et selon laquelle les sciences progressent dès lors que des découvertes éclatantes sont à même de réfuter les fausses idées qui les précèdent. Une vision si assurée et si expéditive du progrès des connaissances, qu’elle conduit à ne guère s’attarder à retracer l’histoire des sciences dans l’enseignement de ces dernières. Dans nombre de traités de biologie, Lamarck et même Darwin sont présentés en quelques lignes. Comme si l’intérêt d’un propos tenait d’abord à sa proximité par rapport au moment présent. Et comme si seuls les résultats intéressaient la science et non les idées grâce auxquelles ils ont pris sens.

Néanmoins, en exposant les idées transformistes dans la précédente section, nous aurons pu mesurer à quel point la gamme des conceptions relatives au vivant est étroite. De fait, en un peu plus d’un siècle, entre 1750 et 1860, pratiquement tous les débats touchant à l’évolution sont posés et Darwin, en regard, n’apparaît nullement comme un précurseur ; comme celui qui, le premier, aurait formulé une théorie de l’évolution. Ces débats, son œuvre entend bien plutôt les clore et elle y est parvenue sans doute puisque, depuis, aucun autre modèle biologique n’est venu la supplanter. De là, c’est finalement rendre hommage à cette œuvre singulière que d’en présenter un exposé critique, comme nous le ferons. Car Darwin ne procède pas autrement pour défendre ses idées.

De plus, force est de reconnaître que la théorie darwinienne n’est pas sans difficultés et, sur certains points, on peut se demander si beaucoup de biologistes, de nos jours, ne sont pas revenus, le plus souvent sans le savoir, à une vision largement pré-darwinienne et même pré-lamarckienne du vivant. Mais cela, encore, notre vision commune de l’histoire des sciences ne nous prépare guère à l’envisager ! Quoi qu’il en soit, il faut bien reconnaître que ce qu’on peut entendre de nos jours par darwinisme contient des éléments qui vont tout à fait à l’encontre des principes posés par L’Origine des espèces. Il est vrai qu’à ces principes, au fil des éditions, Darwin lui-même n’a pas toujours été fidèle. L’évolutionnisme, ainsi, n’est pas le dernier mot de la science. Son idée même, de nos jours, est devenue assez incertaine.

Au total, nous nous attacherons à présenter : A) le darwinisme, dans sa singularité, en nous attardant aux principes modernes de l’élevage, dont l’importance générale et l’impact particulier sur L’Origine des espèces demeurent trop largement négligés ; B) la sélection naturelle, principe clé du darwinisme ; C) le darwinisme après Darwin, dans ses méandres ; un bref récapitulatif des grandes étapes de l’histoire de la vie nous étant nécessaire pour comprendre certains débats.

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A) Une théorie singulière

Une métaphysique du vivant capable de soulever des passions. Genèse de L’Origine des espèces. La théorie de l’évolution. Principes d’élevage. Naissance de l’élevage par sélection. L’apologie du métissage freinera le développement de l’élevage.Robert Bakewell et l’inbreeding. La sélection massale. Incertitudes concernant les fondements génétiques des caractères quantitatifs. On ne peut guère sélectionner les individus sur un seul caractère. Le clonage promet l’idéal de l’élevage : la race pure.

 B) La sélection naturelle

Objections que Darwin dut affronter. D’une importante contradiction de la théorie darwinienne. Une nouvelle vision du vivant à travers l’idée de sélection naturelle. La sélection sexuelle. Objections contre la sélection naturelle. Objection tenant à la non-continuité des couches fossiles. L’isolat insulaire comme facteur d’évolution. Le créationnisme. L’homme descend du singe.

C) Le darwinisme après Darwin.

Weismann et la remise en cause de l’hérédité des caractères acquis. Comment une idée peut passer pour être réfutée par une expérience qui ne l’infirme pas du tout. Le lyssenkisme. La génétique rejoint le darwinisme. Le néo-darwinisme. Hugo de Vries. L’évolution par sauts brusques. L’origine des espèces rapportée à des mutations et non à des variations graduelles. Le mutationisme. Les grandes étapes de l’histoire de la vie.

Pendant la plus grande partie de l’histoire de la vie, il n’a existé que des bactéries. L’explosion cambrienne. Des extinctions massives ponctuent l’histoire de la vie. La fin des dinosaures. Les saccades de l’évolution. L’évolution s’est-elle épuisée depuis une centaine de millions d’années ? Nouvelles objections contre le darwinisme, tirées de l’histoire des vivants. Le cœlacanthe. Quand la sélection naturelle verse dans le providentialisme. Privilégier l’évolution. Retour à Lamarck ? L’évolution comme riposte des vivants aux sollicitations de leur milieu. Quand le hasard remplace l’évolution. La vie fondée sur la catastrophe. Le rejet de l’idée de progrès et ses partis-pris. L’évolution des équidés. Quand les biologistes versent dans la littérature édifiante et invoquent la contingence en la confondant avec le hasard. Quel est finalement le rôle de la sélection naturelle et des variations spécialisantes ? Se limitent-elles à adapter les vivants à leur milieu ou mènent-elles à l’apparition de types vraiment nouveaux ? La phalène du bouleau et le mimétisme animal. La génétique des populations. L’évolution ne se poursuit pas à travers le support des espèces mais s’enracine dans la potentialité des formes vivantes. A rebours du modèle mutationniste, une nouvelle approche de la notion d’espèce, dont les caractères latents sont finalement plus déterminants, au fil de l’évolution, que les caractères spécifiques. La théorie synthétique de l’évolution, dernière forme du darwinisme, va pourtant largement à l’encontre de ses principes puisque le moteur de l’évolution est pour elle la diversité et non le renforcement du même. A l’origine de l’évolution est simplement le hasard, qui procède aux recombinaisons génétiques. La théorie neutraliste de l’évolution ou le grand retour de la science moderne au transformisme de Maupertuis.

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Darwin par Walter W. Ouless, 1875.