Qu’est-ce que la réalité ? Voilà la question qu’immédiatement, sans doute, on voudra nous poser. Non d’ailleurs en attendant une réponse mais pour souligner qu’il faudrait être bien présomptueux ou naïf pour tenter de définir la réalité. Ou en croyant deviner déjà que nous ne pourrons finalement conclure ce que tout le monde sait au fond : qu’il n’y a pas d’entente sur ce qu’est la réalité, qu’elle dépend du point de vue de chacun. En même temps, pour chacun sans doute, la réalité est ce qu’on ne peut lui enlever. Quoi qu’on lui dise, quoi qu’on tente de lui prouver, chacun sait bien ce qu’il en est du monde. La réalité lui est une position d’attente et de défense face à tout argument – sauf à ce qu’on lui montre un peu. D’un point de vue intellectuellement plus averti, on dira enfin que la réalité ne renvoie qu’à un jeu de langage qu’il s’agit d’analyser, ou de “déconstruire”. On ne considérera pas en tous cas que le terme puisse encore être pris de manière simple, immédiate, sinon par naïveté. Si nous pouvions amener à reconsidérer quelque peu ces certitudes communes et le relativisme auquel elles conduisent, nous nous estimerions pleinement satisfait.
Nous mesurons néanmoins quels a priori nous avons à vaincre, nous qui voudrions montrer que, si la réalité appelle un nombre indéfini d’interprétations très différentes, voire contradictoires, cela n’en fait pas éclater l’idée. Nous qui voudrions montrer qu’on ne peut guère se passer de l’idée de réalité, en même temps qu’on ne peut opposer le réel à quoi que ce soit et l’existence des êtres singuliers, ainsi, aux idées générales ; les choses aux mots. Que la pensée ne crée pas le monde certes et ne peut se dispenser de passer l’épreuve de la réalité mais qu’il est vain d’attendre que les choses valident simplement nos énoncés.
Par réalité, nous entendons un mode d’intelligence du monde très commun mais peu sondé. Un mode d’intelligence, c’est-à-dire une manière d’appréhender le monde et seulement cela, de sorte que nous ne nous sentirons absolument pas tenus de dire ce qu’est la réalité, comme si ce terme renvoyait à un contenu précis, particulier.
Nous nous efforcerons enfin de souligner que la réalité n’est pas le monde attendant qu’on le découvre et le décrive. Car le monde, tel qu’ainsi conçu, n’existe pas ! Il n’est rien de réel qu’on ne puisse au moins concevoir et nommer. Ce qui conduit à reconnaître la réalité plutôt comme un principe que comme un objet – ce qui n’ôte rien à sa réalité et ce qui permet précisément de distinguer le réel de l’illusion.
Ces thèmes seront traités ci-après à travers deux principaux : I) le réalisme et II) la substance.