Il est possible de classer les nombreuses conceptions de l’espace et du temps depuis l’Antiquité selon qu’elles se rapprochent davantage d’une conception relationnelle ou au contraire absolutiste. Conçus comme absolus, le temps et l’espace représentent des entités distinctes et indépendantes des objets qui les peuplent. Ils ont une réalité en eux-mêmes. Relationnels, ils n’existent qu’idéellement, comme rapports entre ces objets.
Mais cette distinction très répandue – qui déborde largement la tradition occidentale, puisqu’elle opposera au sein du bouddhisme indien, par exemple, les Vaibhasika, soutenant la réalité de l’espace, aux Sarvastivadin, qui en faisaient un immatériel – cette distinction qui conduit notamment à opposer l’espace et le temps d’Aristote à ceux de Newton, puis ceux-ci encore à ceux d’Einstein, cette distinction est très factice si l’on imagine qu’elle traverse toute l’histoire de la philosophie et des sciences. Cette histoire aura plutôt été ponctuée par la nécessité, aussi bien que par l’impossibilité, de concevoir un temps et un espace absolus. Elle aura été marquée par le décalage croissant entre la conception scientifique et les représentations de l’espace et du temps qui, communément, donnent plutôt ceux-ci pour extérieurs et existant en soi.
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Qui peut concevoir le temps assez nettement pour exprimer l’idée qu’il s’en fait ? demande saint Augustin au livre XI de ses Confessions (vers 400 ap. JC, XI, XIV, 17). Est-il pourtant notion plus familière ? Qu’est-ce donc que le temps ? « Si personne ne me le demande, je le sais ; mais si on me le demande et que je veuille l’expliquer, je ne le sais plus », écrit Augustin. Le temps est-ce le présent ? Mais à peine avons-nous conscience du présent que déjà il est passé. Il n’est qu’en cessant d’être. De sorte que, si le temps est le présent, « ce qui nous autorise à affirmer que le temps est, c’est qu’il tend à n’être plus ».
On mesure le mouvement des corps à l’aide du temps. Mais le temps lui-même peut-on le mesurer ? Est-il une réalité en soi ? Le temps n’est probablement qu’une « distension de l’âme » (distensio animi), écrit Augustin. Autant dire que le temps n’existe que dans la conscience. En soi, c’est-à-dire hors de nous, il n’y a qu’un devenir incessant, un présent évanescent. Mais pour la conscience, note Augustin, il y a un présent du passé, un présent du présent et un présent du futur. Il y a la mémoire, l’intuition directe du temps et l’attente.
En regard de telles incertitudes relatives au temps, on peut être tenté de croire que l’espace est une réalité plus assurée. Rien n’est moins sûr cependant, , notre parcours le montrera :
I – Perceptions et représentations de l’espace et du temps
II – L’expérience de l’espace et du temps
III – L’espace et le temps absolus
IV – La relativité de l’espace et du temps
V – L’irréversibilité.
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Sommaire :
I – Perceptions et représentations de l’espace et du temps
A) L’espace et le temps vécus.
L’horloge interne. Le temps inscrit dans notre métabolisme. Le temps hostile. Le temps d’autrui. Accepter le temps et l’espace. Claustrophobie et agoraphobie. Troubles spatiaux dans les psychoses. La proxémique. L’espace et le temps traditionnels. On prête trop rapidement un temps circulaire aux sociétés traditionnelles.
B) La conquête de la perspective
Ouvrir une fenêtre sur le monde. La perspective en musique. Quelques rudiments. Desargues. Importance de l’invention de la perspective. La perspective dans l’Antiquité. Rupture avec la subjectivité du regard. Découverte de l’espace abstrait et de l’être nu des choses. La critique moderne de la perspective et ses illusions.
C) Les données immédiates de la conscience du temps
Temps et durée. La durée comme changement. D’une perception première du temps. Les critiques de Gaston Bachelard. Le temps est langage. Temps de l’être. Temps de l’homme.
II – L’expérience de l’espace et du temps
A) Le génétivisme.
Difficulté de l’enfant à concevoir la durée de manière temporelle. Découverte de la simultanéité. Le décentrement spatial. Analyses concluant à une perception innée de certaines structures spatiales.
B) Le nativisme de Kant.
La Dissertation de 1770. La chilarité. Définition. La chilarité dans la nature. Un fait qui ne paraît pouvoir être déduit. L’espace et le temps dans la Critique de la raison pure.
a) L’espace chez Kant. La carte cognitive. L’espace amorphe. La quatrième dimension. Flatland. Construction de la quatrième dimension. Notre monde serait-il le même en n dimensions ? Pouvons-nous voir la quatrième dimension ? Les expériences mentales de Charles Hinton. Abus du concept de quatrième dimension.
b) Le temps chez Kant. Un vice de subreption. Réalité et idéalité de l’espace et du temps.
III – L’espace et le temps absolus
A) Aristote
Le vide des atomistes et l’espace géométrique d’Euclide. Aristote : si l’espace est vide, il n’est pas. La théorie du lieu chez Aristote. Le lieu propre de chaque chose dans un monde clos. Il n’y a pas d’espace en soi. Il n’y a d’espace qu’au gré d’un mouvement. Le caractère faussement naïf de la physique aristotélicienne.
B) Newton
Le mouvement inertiel. Le mouvement inertiel et l’espace relatif. La gravitation et l’espace absolu. Le temps absolu. Dieu et l’espace. Henry More. Le retrait de Dieu. Newton illuministe. Le temps et l’espace newtoniens comme idées limites. Aristote. Le premier mouvement. La mesure du temps. Le repère des étoiles fixes. Progrès décisifs de l’industrie horlogère. L’échappement. Le pendule.
C) L’éternité
Aristote. Temps et mouvement. Platon fait du temps un concept. Naissance de l’éternité. Eternité et perpétuité. L’éternité comme repère du temps. Spinoza. L’éternité est ce qui fait échapper le temps à la pure succession. Que pourrions-nous emporter dans l’éternité ? Eternité et histoire. L’éternité contenue dans un court instant.
IV - La relativité de l’espace et du temps
A) L’irréalité du temps
Chronoclasmes. Temps et temporalité. Ordre de position. Ordre de succession. L’avenir est-il déjà joué ? Un temps à plusieurs dimensions ?
B) La relativité
La relativité cartésienne. La relativité galiléenne. La relativité einsteinienne. La Relativité restreinte. Les cylindres de Tippler. Le paradoxe des jumeaux. La controverse de Bergson et d’Einstein. Une confusion fréquente à propos de la Relativité.
C) L’espace-temps.
Lignes d’univers. S’affranchir de la limite posée par c ? L’univers superlumineux. La gravitation. La Relativité générale. L’espace et le temps ne sont que les effets de l’interaction des corps. Abandon de l’espace euclidien. L’espace courbe. Les géométries non-euclidiennes. Le cinquième postulat d’Euclide et son impossible démonstration. Saccheri. De nouvelles géométries fondées sur le rejet du V° postulat. Riemann. Géométries nouvelles et espace réel. Axiomatisation de l’espace. Caractère trompeur de l’espace “courbe”.
V - L’irréversibilité
A) L’entropie
Le second principe de la thermodynamique. La découverte de l’entropie. L’invention de la machine à vapeur. Le calorique. La dégradation de l’énergie. Le désordre est un phénomène d’équilibre. Phénomènes stationnaires et phénomènes transitoires. Une direction privilégiée du temps ? Le probabilisme mécanique de Boltzmann.
B) Le monde en évolution
L’entropie et le vivant. Valeur psychologique de l’irréversibilité. L’intolérable irréversibilité. Le bouddhisme.
C) Leibniz