Depuis Aristote et jusqu’à la biologie moléculaire moderne, la distinction entre l’animation et l’individuation du vivant a marqué pratiquement toutes les théories relatives à la génération. Jusqu’à notre époque, en fait, c’est toute la pensée du vivant qui n’a pu s’affranchir de cette distinction, faute de disposer d’un concept qui n’apparut que tardivement, celui de fécondation. De là, à l’âge classique, une succession de théories qui, rétrospectivement, ne peuvent que nous paraître toutes plus incertaines et fragiles les unes que les autres.
Pourquoi, dès lors, s’intéresser longuement à ces idées extravagantes et par là souvent assez amusantes ? Parce qu’au-delà de l’intérêt historique et anecdotique, on ne peut croire que l’histoire des sciences se divise entre un âge de raison, le nôtre et un âge primitif d’élucubrations. Ces hommes qui tentaient de comprendre le vivant n’étaient pas moins sérieux que nous. Et si, de notre point de vue, leurs conclusions précipitées ne pouvaient manquer d’être malheureuses, compte tenu des lacunes de leurs connaissances, qui pourrait assurer que nous nous trouvons dans une situation radicalement différente ? Leurs connaissances étaient plus que limitées, sans doute. Mais leurs raisonnements, souvent, n’étaient pas très différents des nôtres. Leur première tentation, en effet, fut de rendre compte, comme nous, de l’individualité vivante par sa miniaturisation. Comment expliquer une forme, une organisation particulière, en effet ? La solution la plus simple est de faire comme si elle était donnée dès le départ, dans un germe ou dans l’ADN. Alors, tout s’éclaire : si le vivant est ainsi fait, c’est bien, on peut le démontrer, parce qu’il est ainsi fait ! Mais la forme ainsi posée en germe ne peut qu’être intangible, alors que les formes vivantes sont éminemment plastiques, variables ? Force est donc de faire sa part à un certain épigénétisme. On le fit alors. Comme nous le faisons.
Mais au total, la tentation demeurait – elle demeure toujours – de rechercher comme une formule du vivant, qui rende compte intégralement non seulement de lui-même mais encore de tout ce qui peut lui arriver. Au XVIII° siècle, on disputa pour savoir si les germes des vivants contenaient déjà les vers qui allaient occuper leurs intestins. Certains, de nos jours, ont cru identifier le gène de la résistance au changement… En fait, la principale différence entre l’âge classique et nous tient au fait que le premier voyait la vie comme un phénomène naturel et simple, comme une fermentation et croyait sa génération spontanée. Par rapport à nous, il était beaucoup moins vitaliste.
Nous exposerons successivement : A) le préformisme. On s’y demandera pourquoi, une fois coupée, la tête de l’escargot repousse, où peut bien se loger l’âme d’une huître et si les femmes font partie du genre humain. B) L’épigénétisme et le débat, décisif, sur la génération spontanée.
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A) Le préformisme
Les phénomènes de régénération. Quand la tête de l’escargot repousse. Où se loge l’âme d’un polype ? Le vivant réduit à un germe. Le modèle de l’œuf. Les femmes ne sont pas du genre humain. Ovisme et préformationnisme. Quand une théorie absurde s’impose. L’animalculisme.
B) L’épigénétisme
Le moléculisme. La panspermie. Matérialisme. De la masturbation. La trompeuse modernité de l’épigénétisme. La vie gélatineuse. L’épigénétisme et le problème de l’âme. Aristote. L’âme fait la forme du vivant mais n’est pas sa vitalité. Le vivant et la vie. La génération spontanée. La vie née de la matière. Les débats à l’âge classique. La question des vers intestinaux. L’indécis recours à l’expérience. Pasteur vs Pouchet. La vie comme phénomène singulier.
Albert Edelfelt Louis Pasteur, 1885.