Le romantisme (2. 5. 19. / 2. 5. 25.)

Cette section est principalement consacrée aux mouvements d’idées liés au romantisme, dans la mesure où ces derniers permettent de comprendre nombre de conceptions contemporaines de la nature. Au tournant du XIX° siècle, en effet, on vit apparaître une philosophie de la nature se voulant en rupture par rapport à la science newtonienne qui avait dominé le siècle précédent. Ce courant, enraciné principalement en Allemagne, développa une vision de la nature qui est encore largement la nôtre.

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Caspar David Friedrich.

A partir du romantisme, en effet, la conception moderne de la nature ne correspondra plus à celle d’un cosmos mais sera portée par une exaltation du moi. La nature quittera les jardins ainsi et deviendra paysage. Au sens où un paysage peut dépeindre un état d’âme. Dans les visions modernes de la nature, le subjectif rejoint l’objectif et le sujet se confond avec son objet – ce sont là des thèmes éminemment romantiques. L’homme fixe le paysage mais, à travers ses paysages, la nature regarde l’homme. Dans les jardins, la nature était un cosmos fermé par la main de l’homme. Comme paysage, elle sera l’environnement en lequel celui-ci s’enracine. A travers la contemplation de paysages, chaque tonalité affective devient solidaire d’un rapport à l’espace. Réciproquement, chaque lieu est à même de solliciter une émotion. Le développement du paysage en peinture marque ainsi la véritable apparition du sentiment moderne de la nature. Mais cela ne s’imposera pas d’emblée. Longtemps, la peinture de paysage sera reléguée tout en bas de la hiérarchie des arts.

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Ma Yuan.

La nature, ainsi, ne nous est pas un vis-à-vis mais immédiatement ce en quoi, inséparable d’elles, nos impressions, notre expérience prennent place. A l’époque moderne, le paysage et la subjectivité se sont ainsi largement affirmés de concert. Exprimant immédiatement nos émotions, nos aspirations, certains paysages deviendront dès lors très vite des clichés (couchers de soleil, îles paradisiaques,…). Dans les cartes postales, la nature marque immédiatement, naïvement, une émotion. Nos ancêtres, sans doute, ne l’auraient pas compris. Ils étaient sensibles à la puissance de la nature ou, comme dans le Phèdre de Platon, à ses charmes. Ils en rassemblaient les agréments dans leurs jardins. Mais ils ne projetaient pas en elle leurs propres états d’âmes, aspirations ou tristesse comme, l’un des premiers, le fera Rousseau.

Or c’est précisément cette identification du moi à la nature qui conduira à vouloir la protéger, à redouter sa perte comme s’il s’agissait d’une part de nous-mêmes. En ce sens, la protection de la nature a d’abord voulu protéger des sites. Aux Etats-Unis, George Perkins Marsh lança dès la fin du XIX° siècle un vaste mouvement de régénération des paysages. S’opposant à une idée communément reçue, il soutenait que la nature ne guérit pas d’elle-même des actes destructeurs qu’elle subit. On assimilera ainsi bientôt l’industrialisation qui défigure les campagnes et l’oppression qui écrase les révolutions.

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Malgré tout, même à notre époque, il reste difficile de considérer qu’un paysage relève d’une projection et non d’une simple contemplation. Pourtant, la Bretagne, par exemple, n’est devenue une terre sauvage, “noire”, qu’avec les Romantiques. Elle était “arcadienne” avant cela.

Or cette difficulté concerne l’idée de nature dans son ensemble. Comme paysage, la nature est un appel de sens, d’émotion. Or c’est en large partie ainsi que s’est constituée à l’âge moderne de manière largement subjective cette entité extérieure que nous nommons la Nature. En oubliant que ses caractères et son harmonie n’existent que pour un sujet percevant. Il n’y a de Nature en soi que dans cet oubli, de sorte que le sens de l’idée de nature à l’âge moderne peut être présenté comme l’instauration positive d’un impensé - ce qu’Oscar Wilde a nommé « le déclin du mensonge ». Comme si nous avions oublié que nous nous mentons à nous-mêmes en célébrant, comme lui appartenant, les qualités que nous prêtons à la nature. Toutefois, il serait trop simple, trop court, de ne voir là qu’une fausse conscience ou un aveuglement. La philosophie de la nature de Schelling permet de le comprendre.

Le point de vue de Schelling est celui d’un idéalisme transcendantal. La question est d’abord pour lui de savoir comment l’ensemble de phénomènes que nous appelons la nature existent pour nous. Pour autant, il ne s’agit pas pour Schelling de réduire la nature à l’esprit, de considérer qu’elle n’est qu’un objet de pensée, sans autre réalité mais, tout au contraire, de « naturaliser » l’esprit, de le saisir, au sens propre, comme nature. En d’autres termes, ce qui se donne à penser, en fait de nature, c’est que l’esprit possède une extériorité. En ce sens, Schelling présente sa démarche non pas comme une tâche de compréhension mais d’intuition de la nature.

La nature, comme extériorité qui nous englobe, nous rappelle que la pensée n’est pas nôtre, au sens où elle dépendrait intégralement de nous. Nous sommes dans l’esprit comme nous sommes dans la nature et la nature est ainsi pour nous, selon Schelling, la découverte même de l’esprit. La nature est un soi mais qui n’existe que d’un point de vue extérieur à soi. Et il en est ainsi de tout ce qui est naturel. Comme nous. Schelling a découvert la nature comme transcendance. C’était là un principe absolument nouveau. L’attention et le respect modernes accordés à la nature, en même temps que la crainte de la voir disparaître, tiennent beaucoup à la prise de conscience de notre propre extériorité à nous-mêmes, comme fondement de notre existence. Sous ses différents degrés, notre relation à la nature recouvre la découverte de notre propre extériorité et la fragilité de notre être, enraciné dans un environnement que nous sommes à même de blesser irrémédiablement. Aujourd’hui, certains veulent protéger la nature pour nous sauver nous-mêmes. D’autres veulent la défendre pour elle-même. Ce sont là deux manières – aussi naïve l’une que l’autre – de reconnaître que la nature est notre extériorité.

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Alfred Stieglitz Cloud Series.

La nature est désormais un élément-clé dans la conscience de nous-mêmes. C’est là une idée très schellingienne. Et sous ce jour, la nature doit plus proprement être pensée comme environnement.

Consulter/Télécharger le texte (82 pages)La nature II

Sommaire :

A) La Naturphilosophie.

Influence de la franc-maçonnerie. Le Sturm und Drang et les rêveries médiévales à l’âge romantique. Frissons délectables. Préromantisme musical. Rêveries médiévales et désirs de retour en arrière à l’âge des révolutions politiques. Nationalisme et passéisme. Le style troubadour. Faveur du Moyen Age tout au long du XIX° siècle. Apparition des rêves en politique. Influences dont se réclamait la Naturphilosophie. La Querelle du panthéisme. Principes de la Naturphilosophie. 1) La Nature est comme un unique organisme. 2) La Nature a une histoire. 3) La Nature est un vivant tissu de correspondances que seule l’intuition peut déchiffrer. Nos humeurs nous relient à la nature, exprimant en quelque sorte notre sensibilité à être. Météorologie intime. Amiel. La maladie d’une époque selon Paul Bourget.

B) Le paysage

Naissance de la peinture de paysage. L’Antiquité et la Chine. L’invention de la perspective frontale introduisit un bouleversement bien plus profond que le renversement copernicien. La Querelle des deux horizons. De la nature comme convention. Le paysage dramatique. Altdorfer, le premier romantique ? Les peintres romantiques et le paysage. Le goût des ruines. Impressionnismes. La musique de paysage. Romantisme et impressionnisme. Au XX° siècle, le paysage devient un décor. La vitesse a fait les paysages immobiles. Le Land art. Le paysage comme valeur. Évaluation monétaire des paysages. Le paysage : contemplation ou création ? Ce que révèle la nature.

C) Égaler le moi au monde.

Le culte de la spontanéité. Le narcissisme romantique. La religiosité romantique. Une science construite pour la satisfaction de soi. L’électricité des Romantiques. Le règne de l’évocation. Symbolisme et abstraction, héritiers du romantisme. Contribution décisive du romantisme à la vision moderne de l’art. Homo romanticus ? La rébellion subjective. Le thème de l’innocence naturelle. L’influence décisive de Rousseau. La nature élégiaque. L’ironie romantique.

D) La philosophie de la nature de Schelling.

Saisir l’esprit comme nature. Seule la philosophie connaît la nature. Une physique spéculative. Sa nécessité. La Nature comme conflit. La masse est le premier destin dans le monde. L’homme et la nature ont chacun l’autre pour destin. Le Grund. La nature comme théophanie. Une même histoire unit Dieu, l’homme et la nature. Jacob Boehme. Un prophète. La nature comme révélation.